— Dis, quand la glaire cervicale devient moins visqueuse, est-ce que ça veut dire que l’ovulation est passée ?
— …
— Et passé 48 heures, il n’y a plus de risque ?
— Euh…
— Enfin, toi, tu es bien un spécialiste de ça, non ?
— Je ne sais pas répondre. Franchement je serais prudent dans ce cas.
— Alors tant pis pour toi !
Il a adoré ce « tant pis pour toi ». Traduire : « Cet après-midi je vais faire l’amour avec toi, tu viendras en moi, je veux bien que tu jouisses si tu ne risques pas de me féconder ». Il aime entendre une femme annoncer qu’elle va faire l’amour avec lui. Même si elle se contente de dire : « Tant pis pour toi ».
Ce matin, quand Anne est arrivée au rendez-vous sur un parking presque désert, avec son polo bleu clair, pointes de seins en érection, et qu’elle l’a surpris plongé dans
Septentrion en quête d’orgies (page 65 :
« Le foutre commençait à gargouiller sous elle »)… Quand elle l’a longuement serré dans ses bras et embrassé à pleine bouche, il y avait des hommes au travail tout près qui auraient aimé entendre ce « tant pis pour toi ». Non qu’il se soit senti comme un prédateur fier d’exhiber son trophée, mais dans ce moment de bonheur intense il voulait oublier leur présence, le monde et toute idée de presséance.
Toucher sa peau, enfin. Sa peau sous le soleil. Peloter ses seins comme un sale gosse…
Ils ont acheté un peu de pain aux olives et aux raisins. Encore une fois il a aimé qu’elle l’invite à enrouler ses bras autour de sa taille pendant qu’ils faisaient la queue à la boulangerie. Personne ne les connaît dans cette ville et c’est un soulagement de montrer qu’on ne craint pas la foudre du jugement d’autrui.
Elle lui offre ses lèvres, sa bouche avec plus de ferveur et c’est nouveau pour lui. Il se rend compte qu’il ne sait pas « faire » : il se laisse plutôt faire, mais il en redemande, il ose prendre, ce qui est nouveau aussi.
Ils ont garé la voiture dans un parc naturel au-dessus de la mer. C’est une forêt méditerranéenne semblable à celle où elle s’est fait photograhier nue. Des images qu’il regarde encore avec désir car il ne se lasse pas de la rêver. Elle n’avait pas froid, sur ces photos. Pas de ronces, pas besoin de chercher un sentier isolé, un endroit où l’on ne sera pas dérangé, avec quelques rayons de soleil. Inutile de penser qu’on n’a que quelques heures devant soi et qu’il faudra rentrer avant la nuit, se séparer. Il a envie de faire l’amour avec ces photos imprimées dans la tête. Elle ne pourra pas se mettre entièrement nue à cause du froid, mais elle sera nue dans son rêve éveillé.
Ses seins sont sensibles à cause de l’ovulation (déjà passée ?). Tant pis s’il a envie de les pétrir, de mordiller les mamelons, il garde ces folies pour plus tard et la pénètre sans plus attendre, car son sexe crie famine de retrouver le sien.
Il ose prendre — même s’il est encore maladroit, hésitant, s’il dit encore « pardon » quand il l’écrase ou lui fait mal. Elle lui laisse le temps de découvrir cette force nouvelle, de grandir, de libérer son corps après avoir libéré sa tête. Il se sent vraiment aimé.
Parfois son plaisir à elle monte haut et il est aux anges. Il en oublie de garder le rythme, l’intensité, et finit à contresens comme un danseur débutant piétinant le pied de sa partenaire. Il oublie cela aussi car elle ne proteste pas.
Elle ferme les yeux. Elle pense à son amoureux, sans doute, tout en donnant du plaisir à son ami. Elle offre à son ami le désir d’un autre. Tant pis pour lui, il aime trop cela !
Il sent son désir d’enfant même si elle n’y pense pas consciemment. C’est une qualité encore plus jouissive des fluides dans son vagin. Il a dit à son corps de faire attention et son corps obéit.
Plus envie d’inonder son sexe. Il lui dit : « Je n’ai plus de territoire ».
Son plaisir monte, il traverse des mini-orgasmes avec spasmes et tensions, tandis que sa semence reste puissamment bloquée au fond de son ventre. Plusieurs fois. Ils pourraient faire l’amour ainsi pendant des heures, si son corps n’était pas fatigué par le sol caillouteux, le déclin du soleil, la morsure du vent — aujourd’hui c’est le jour des Morts, n’est-ce pas ?
Il ne sait plus dans quelle position elle s’est arrêtée de bouger les reins pour serrer son sexe presque immobile, dans une pulsation amoureuse. Il a rarement été serré aussi fort par le sexe d’une femme. Chaleureusement, généreusement, divinement. Le merveilleux sexe de sa tendre amie… Le sien grandit chaque fois qu’elle serre. Bien sûr elle le prend pour fou quand il annonce que son phallus est devenu immense — autant que le sachet en plastique qui enveloppait les pains — mais ça lui est égal : il connaît cette sensation d’immensité et sait où elle l’emmène. C’est à lui de cheminer et de trouver.
Mais il fait froid et ils éprouvent le besoin de bouger. Il adore qu’elle prenne son sexe dans une main, tantôt par petites pressions pour le faire durcir, tantôt pour en frotter l’extrêmité, saturée de sensations, contre sa vulve et son clitoris. Il aime cette main qui le caresse en se caressant, tout en sachant que, lorsque le désir sera insupportable, il pourra encore plonger dans son ventre. Mais il ne tiendra pas jusqu’à ce qu’elle jouisse car ses genoux deviennent douloureux sur le sol caillouteux.
Pendant qu’ils sont accouplés il glisse les doigts dans les replis de sa vulve. Il tient à ce que ses doigts prennent part à la fête bien qu’ils n’aient pas pris le temps de la caresser avant qu’il ne la pénètre avec son sexe. C’est un délice de sentir sa fontaine visqueuse, de glisser sur cette onctuosité, de la sentir ouverte, possédée.
Elle s’est allongée sur le côté pour qu’il se glisse en elle. Maintenant il fait l’amour avec cette photo où elle dort nue sous les arbres. Chaque coup de reins lui rappelle l’effort et le plaisir de ses pas lorsqu’il marche en forêt ; cette marche matinale où il pense souvent à elle, puisque c’est elle, avec ses mots, ses images et le désir qu’elle a fait naître en lui, qui l’a amené à retrouver pas-à-pas une relation de bon voisinage entre le corps et l’esprit.
Il aimerait marcher en elle pendant des heures, mais son corps commence à se fatiguer et son sexe perd un peu de vigueur. Alors elle se lève et l’invite à la suivre à travers les ronces. Il a tout de suite compris qu’elle l’emmènait près d’un arbre contre lequel elle pourra s’appuyer, penchée en avant, car c’est dans cette position qu’elle a le plus de plaisir à accueillir le sexe de l’homme. Il sait que son amoureux l’a prise ainsi et qu’elle était émerveillée qu’il sache pénétrer et ressortir entièrement sans effort. Mais après un essai elle se retourne, le plaque contre l’arbre, nu dans la forêt, elle s’accroupit et le prend dans sa bouche pour le faire jouir. « Serre avec tes dents… Oui, encore plus fort ! » Cette fois-ci c’est elle qui n’ose pas, il y trouve un brin de revanche, et il crie de plaisir.
Ils ont repris la route à la tombée de la nuit. Il aime qu’elle pose sa main sur lui. Il ne sait plus comment la remercier… Ils parlent d’amour, d’amitié, de vie sociale, des projets pour cette vie dans laquelle elle s’installe après une longue absence, un voyage dans l’espace et plus récemment en elle-même.
Le lendemain il s’est réveillé avec une sensation de jouissance au bout du sexe dressé et une petite douleur au genou. Il en a conclu que ce n’était pas un rêve. Au petit-déjeûner une amie était en visite. Il a posé sur la table les pots de confiture offerts par son amante, entre des croissants et du beurre de cacahuètes. Sa compagne a souri en lisant les étiquettes mais n’a pas demandé qui les avait rédigées. Il le lui dira demain. La vie est tellement plus simple quand on ne cherche pas à la rendre compliquée.
Quelques jours plus tard il lui écrit :
Je n'arrive pas à imaginer qu'un amant puisse se lasser de faire l'amour avec toi. Car plus je te goûte plus mon désir est fort, et rencontrer ton plaisir en mutiplie les effets comme dans un jeu de miroirs. Je te désire follement et tu ne manques pas. Ça me plaît que tu ailles vivre des plaisirs bien plus intenses un autre homme que tu aimes d'un amour irraisonné. Pour lui la marée haute et pour moi la marée basse : la saveur est intacte !
Érection matinale. Tendre érection qui me rappelle, au sortir du vertige ouaté des rêves, que je suis vivant. Je suis matière, je suis jouissance.
Nous sommes entassés, hilares, sur l’escalier roulant de la nymphomanie héréditaire. C’est l’ascension du ciel. Le déclin ici-bas. Ma verge droite, enflée, est un charbon ardent. Pierre angulaire de la continuité. Flambeau écarlate. Louis Calaferte, Septentrion, p. 62.
[Suite]