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28 janvier 2008 1 28 /01 /janvier /2008 13:49
amants-poissons.jpg Ma dernière rencontre intime avec Iliane est longtemps restée le point culminant de ma vie amoureuse. J’ai attendu quelque temps la promesse d’un recommencement tandis que la vie nous maintenait à l’écart. Mon amante « céleste » est retournée vivre parmi les humains, en prise avec le quotidien de son existence, tandis que je cultivais le souvenir de cette expérience. Puis il a fallu me rendre à l’évidence que ce rêve d’un horizon au delà de l’horizon n’était qu’une chimère. Pour Iliane, comme pour ceux qu’elle a mis dans la confidence, notre relation est une sorte de communion spirituelle échappant à toute description raisonnée. Quant à moi, je rêve que la magie revienne, frisant l’éblouissement lorsque nos chemins se croisent sans vraiment se toucher.

Nous avons attendu. Un an, deux ans ont glissé autour de propositions de rencontres, comme les eaux d’un fleuve le long des flancs d’un navire en panne. Il y avait toujours un événement, un amant encombrant ou une ambiance inappropriée qui remettaient le projet à plus tard. En fait nous ne nous sentions pas prêts.

Puis elle m’a écrit : « Demain, si tu peux, ma porte est ouverte. »

Je n’ai pas réfléchi au sens de ma visite pendant les six heures de trajet. Trop d’inconnues, problème sans solution, voir sur place. Être soi-même et non pas ce qu’on souhaiterait être. J’ai mis sur l’iPod la suite de ce que raconte Michel Onfray au sujet de Lucrèce… Il se trouve que j’en étais à ce point de l’écoute de ses conférences à l’Université populaire de Caen. Avec sa philosophie de l’amour-passion et sa célébration du « couple ataraxique » Lucrèce ne pouvait pas mieux tomber pour donner un peu de cohérence à mes pensées.

Ces deux derniers jours Iliane est restée clouée au lit par des tensions douloureuses. Elle me l’a annoncé au téléphone juste avant que je prenne le train.
— Est-ce que tu pourras décoincer mon dos ?
— C’est à voir. De toute manière ça ne peut pas empirer, pas vrai ?
En même temps je prends connaissance d’un message de Catherine qui souffre d’un lumbago et s’inquiète au sujet de la soirée que nous nous sommes réservée la semaine prochaine… Qu’ai-je fait au bon dieu pour mériter cela ?

Iliane me prend à la gare dans une auto dont le chauffage est en panne tandis que le moteur est proche de l’ébullition. Image évocatrice de notre relation ! Nous dînons tranquillement, sans effusion inutile mais comme toujours avec une attention méticuleuse aux formes, matières et couleurs des ustensiles. Les repas pris ensemble sont souvent des rituels improvisés. Elle est toujours aussi mince et j’aime la regarder manger. Nous communions avec les saveurs sans nous toucher autrement que par des mots anodins assortis de clins d’œil et de sourires. La conversation tourne autour des assiettes sur la table ronde : notre relation, nos proches, les événements qui ont compté ces derniers mois, les lectures qui m’ont marqué, entre autres « L’intelligence érotique » d’Esther Perel et « Ma mère » de Georges Bataille.

La vaisselle rangée, il est naturel de se retrouver sous une douche brûlante, puis enlancés dans la tiédeur accueillante de la couette, son sexe tendrement pressé contre le mien palpitant de plaisir. Il n’y a eu aucune négociation de ce qu’il devrait advenir de notre intimité dans les conditions actuelles de notre relation. Aucune contrainte, sinon celle, classique entre nous, de demeurer attentifs au présent et à la présence. La bulle magnétique de l’attraction érotique s’est reformée autour de nous ; les corps sont émoustillés mais le désir sauvage n’est pas au rendez-vous. Plaisir et douleur enlancés nous invitent à découvrir ce qui rend la fusion amoureuse insupportable. Notre cheminement hors du quotidien emprunte des sentiers escarpés peuplés de dragons — nos émotions, nos peurs, nos illusions — qui ne nous autorisent pas à danser dans l’insouciance.

Nous sommes en fusion mais en décalage sur le plan des émotions. Mon désir s’est sublimé en satisfaction béate, comme si nous venions de connaître la jouissance. Cette sensation ne me quittera pas pendant le séjour. Mon amante y participe par des caresses maternantes — ne remplacé-je pas l’ours en peluche qui lui sert d’oreiller ? — mais dans son for intérieur elle gravite violemment du désir au rejet, du plaisir au dégoût, de l’abandon voluptueux à l’étouffement. Des tensions dans son dos, des douleurs dans ses seins cherchent l’apaisement de mon toucher sans prêter attention aux caresses. Parfois le désir (de la pénétrer et de jouir) me submerge et mes gestes deviennent possessifs. Elle se sent comme prise sans pouvoir se débattre. Puis les énergies et les pensées reviennent à l’équilibre et nous nous laissons bercer par la félicité.

La nuit je vais dormir seul dans l’autre chambre, comme à l’accoutumée. La course-poursuite est suspendue pendant quelques heures pour nous laisser reprendre des forces. Le matin, après une douche purificatrice, je reviens près d’elle. Elle est loin d’être aussi tendue que lors de nos rencontres précédentes, ce qui me permet de réaliser le chemin qu’elle a parcouru sur la voie de l’autoguérison. J’ai avancé aussi, de mon côté, vers une meilleure compréhension des mécanismes d’enfermement. Nous sommes tous deux passés à la vitesse supérieure pour régler les problèmes, même si la tâche nous paraît encore rude.

Un matin je l’ai trouvée assise sur son lit en train de méditer. Côte à côte nous sommes restés en silence, seuls avec nous-mêmes, accordés.
— La toute première fois que nous nous sommes rencontrés c’est ce que j’avais prémédité : partager quelques heures de silence et rien d’autre. Dans « l’être » et non dans le « faire »…
— Oh…
— Puis on s’est touchés, tu es venue sur moi, écrasant mon sexe avec le tien en criant : « J’ai envie de faire l’amour ! »
— Oui.
— Alors on s’est caressés jusqu’à satiété, on s’est retrouvés nus mais sans faire l’amour pour diverses raisons que tu avais invoquées. J’ai contemplé ton corps abandonné à mon désir, en toute confiance, j’ai aimé ta beauté, ce qu’elle produisait en moi, anticipant cette relation qui passerait par le sexe…
— Au détriment du silence…
— Ce silence ne pouvait pas exister dans l’orbe du désir. C’est pourquoi nous nous sommes livrés au bricolage.
— C’est exactement ça : du bricolage !
— Mais ce bricolage nous a quand même emmenés dans un monde insoupçonné.
Plus tard j’ai repensé à cela en écoutant la chanteuse tibétaine Yungchen Lhamo, les yeux fermés, pendant qu’Iliane prenait un bain et que je projetais mes pensées dans l’eau ruisselant sur sa peau.

Un soir nous avons ri comme des malades au cabaret-cirque.

Le dernier matin j’ai été en contact avec ses douleurs, massant légèrement les fascia autour de ses seins, puis ses épaules et son ventre. C’est alors qu’elle a pu exprimer la douleur psychique dont elle était prisonnière, démontant une mécanique de l’enfermement qu’elle venait de reproduire avec moi mais qui perturbe ses relations avec tous les hommes. Elle est captivée par l’intellect et l’assurance de l’homme — ou l’idée qu’elle s’en fait. L’homme tisse sa toile autour d’elle, comme une araignée, avec des mots qui la bercent et la paralysent. En même temps elle a peur d’être abandonnée par le père/protecteur/amant. Alors, à son tour, elle tisse une toile autour de lui, mais cette toile est faite de pure énergie érotique. Elle ressent un besoin vital d’être désirée. L’homme se laisse faire, y trouve son plaisir, mais très vite elle souffre de se sentir enfermée, dominée et incomprise.

Nous entrons dans une analyse bienveillante de ce processus. Il n’est pas question de le condamner ni d’en négocier le remplacement par un autre plus raisonnable, mais de comprendre les avantages que chacun de nous en tire, et qui justifient que nous l’entretenions. L’enjeu de notre rencontre se révèle à nous comme un monstre à plusieurs têtes dont les unes expriment la félicité alors que les autres sont menaçantes.

Elle reçoit plusieurs appels téléphoniques de personnes qui ont besoin d’elle en urgence. Nos questionnements se mêlent à ces demandes ; autrement dit, notre histoire privée se prolonge dans sa vie sociale, pour le plus grand bien de sa confiance en soi. Elle peut observer que je me sens concerné sans que cela produise un jugement ni une quelconque approbation. Ce qui signifie que je ne suis plus un point de référence pour elle, ni un garant de sa stabilité ; elle sait marcher sur ses deux pieds.

Il nous restait une demi-heure d’intimité avant que je reparte à la gare. Nous sommes restés enlancés, presque silencieux. Puis elle a pris sa guitare. Il paraît qu’elle n’a pas chanté depuis des semaines, mais bizarrement sa guitare est accordée. Elle me dit « désolée pour Sarko » puis entonne « Quelqu’un m’a dit… » de sa voix que j’aime tant. Une voix qui m’accompagnera pendant les six heures du retour.

J’ai résumé pour elle un extrait d’ouvrage sur la sexualité féminine selon le Tao, version féministe nord-américaine. Il y est question de l’ambrosie, des trois « fluides sacrés » de la femme et des orgasmes qui vont avec. Nous avons cherché ensemble, sur elle et dans un gros atlas, des détails anatomiques comme les orifices des glandes de Skene… Son sexe joliment épilé était comme un livre ouvert, une cathédrale gothique qui ne peut s’empêcher frissonner de peur/plaisir si un doigt curieux s’aventure à entrouvrir les lèvres.

Elle m’a montré des bijoux qu’elle joue à accrocher au capuchon du clito, à ses mamelons et au prépuce de son amant. Nous étions comme deux enfants cachés dans la buanderie pour braver les interdits. Plusieurs fois j’ai imaginé glisser mon sexe dans le sien mais il y manquait la rosée qui m’aurait rendu fou.

Plus tard j’ai compris que ce que nous vivions était plus subtil que l’évitement de la jouissance. Il se passe quelque chose de particulier dans notre intimité. Le contact sensuel me met en relation avec la rencontre extatique vécue il y a deux ans, comme si j’étais resté en suspension dans un bonheur inaltérable. Nous avons l’impression diffuse que, si nos sexes s’accouplaient une nouvelle fois, ils nous feraient retourner à des sensations « ordinaires » que nous pouvons vivre plus intensément avec d’autres partenaires. Telle est notre conviction, en ce moment même, ce qui n’exclut pas qu’une autre fois nous ayons envie de vivre d’autres accouplements mystiques.

L’intimité sensuelle avec mon amante « tantrique » est ennivrante, plus précieuse que les spasmes de la jouissance, et paradoxale puisque la tension du désir est bien présente. Mais je ne voudrais pas utiliser cette expérience pour faire l’apologie d’une sexualité « dématérialisée ». Bien au contraire, il ne me semble pas possible de vivre quelque chose de semblable sans un long parcours de découverte d’une puissante osmose sexuelle.

[Suite]

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