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11 novembre 2007 7 11 /11 /novembre /2007 00:00
Le cœur hilare et le sexe en colère. Le sexe avait tout prévu, rester en ville et louer une chambre d’hôtel pas trop minable, sauf que, pendant qu’ils arpentent les rues sous une bise glaciale le sexe de la femme annonce au sexe de l’homme : « Ce soir je ne vais pas rester avec toi, je n’ai pas envie de faire l’amour. » A-t-elle dit « l’amour avec toi » ou « l’amour » tout court ? C’est sans importance et sans incidence sur les heures à venir. Mais elle a quand même laissé ses affaires dans la chambre, le temps qu’ils trouvent un restaurant pour se faire servir quelque chose de chaud. Le sexe désirant aime manger chaud quand il ne peut pas s’accoupler ; et, puisque le sac est resté en otage dans la chambre aseptisée, le sexe désiré y retournera au moins cinq minutes, le temps d’imprimer une légère empreinte sur le lit pas encore défait, où l’ami pourra poser sa tête et rêvasser pendant des heures, le temps d’évacuer sa frustration.

Le sexe n’avait rien compris mais le cœur savait. Ils étaient là, allongés tout habillés sur le lit, car elle avait quand même tenu à rester, un moment, deux moments, aussi loin que l’y autoriserait l’avancée de la nuit. Elle avait commencé par s’asseoir, prenant la tête de son ami entre ses cuisses pour caresser son torse, mais pas trop longtemps car cette caresse faisait monter le désir de l’homme au-delà du supportable. Elle ne voulait pas qu’il souffre. Elle lui a demandé s’il se sentait bien qu’elle reste près de lui, s’ils pouvaient s’aimer sans faire l’amour. Cette demande l’a touché au fond du cœur.

Ensuite elle est là, allongée sur son côté droit, belle à mourir, les yeux pleins de vie comme un lac pendant la saison des pluies. Remplie de ce bonheur qui déborde et inonde son entourage. Il s’est blotti contre elle, nu sous la cascade, jusqu’à se sentir comme un bébé qu’une jeune mère aspergerait amoureusement dans le bain. Les bébés aussi ont des érections, tout va bien, monsieur le sexe ! On ne vous oublie pas, mais, je vous en prie, ce n’est pas le moment de troubler la surface du lac. Pas le moment de briser le reflet fragile de ce cœur émerveillé qu’elle étale grand ouvert.

Et puis il se sent comme s’ils venaient juste de faire l’amour, dans le prolongement des jeux sauvages dans la forêt, si proche, et pour elle d’une rencontre amoureuse encore plus proche. Il n’a rien dit de cette sensation, car il ne lui paraît pas convenable de prononcer à la suite « nous », « faire l’amour », « jouir »… Ces mots ne leur appartiennent pas aujourd’hui. Il veut se glisser dans son bonheur à elle, jusqu’à sentir la présence de son amoureux et devenir un simple témoin de l’amour qu’elle lui raconte. Il sait que ce n’est pas cette présence qui leur interdit le sexe — aucune rivalité n’est en jeu — mais plutôt son besoin à elle de savourer ce qu’elle vient de vivre. Ils sont chacun dans le prolongement de frémissements de vie qu’on ne refait pas, et qu’il convient de laisser fondre doucement, jusqu’à ce qu’il n’en reste que des souvenirs, des pages écrites, des mots prononcés. Il est heureux qu’elle parle, ce soir, il voudrait qu’elle ne s’arrête jamais.

Le sexe a compris et il se tait. Le cœur se glisse en riant dans chaque enfractuosité des mots tendres. Il l’aime plus que jamais : elle qui l’a mis nu, pas seulement dans la forêt, adossé à un arbre en plein jour, mais aussi dans leurs pensées et leurs rêves pendant la longue traversée. Elle l’a pris nu et lui a tout donné : du désir, la jouissance de son corps, une flamme de vie qui s’est transformée en brasier, l’invitation à venir en elle, dans l’onctueuse volupté de son sexe mais aussi dans les arcanes tumultueuses de son histoire de femme. On n’a pas l’un sans l’autre, une fois scellé le pacte d’amitié. Il s’est invité en elle, elle s’est invitée en lui.

Elle lui a demandé s’il voulait bien la masser. Le sexe a gêmi dans son sommeil comme s’il venait de faire un mauvais rêve. D’abord il n’aime pas masser à travers des habits, elle le sait mais il n’ose pas le rappeller : elle a peut-être froid, ou peur qu’il vienne sur elle comme un chien fou ? Peu importe, il a glissé ses mains sous le pull pour toucher la peau de son dos. Elle a fini par le quitter. Sa peau est de plus en plus douce à mesure que s’éloignent les morsures du soleil. Le sexe se frotte les mains. Difficile de masser quand le désir est tapi dans l’ombre, mais à aucun moment elle ne lui fait subir l’épreuve du rejet, ni celle, encore plus humiliante, de « je veux tes mains mais pas ton sexe, pas tes lèvres, rien de mouillé de toi ». Elle sait ce qu’il a vécu, elle a entendu cette souffrance et fera attention à lui comme on fait attention à ce qu’on offre à boire à un ancien alcoolique.

En réalité elle a envie d’être pétrie, touchée vraiment, pour une fois sans aucune idée préméditée. Ils ont été privés de ce toucher, pendant leurs rencontres, trop occupés de connaître la réponse aux désirs, aux non-désirs, bien que parfois leurs peaux se frottent jusqu’aux convulsions du ventre, mais sans se toucher réellement. Se toucher. Ils y ont pensé tous deux avec conviction, ils savent ce que cela implique de spontanéité, mais la pensée, le plus souvent, s’interpose. Ou bien c’est un peu de lâcher-prise au seuil de la jouissance, mais si peu. Aujourd’hui, le sexe neutralisé comme une ruche enfumée, elle lui donne l’occasion de toucher pour de vrai… Il en a envie, il a fait un pas dans cette direction, même si ses mains restent malhabiles et la peau de ses doigts exaspérée par la sensation macabre des chairs à travers un tissu lisse et noir. Le sexe dit qu’il vaudrait mieux qu’elle s’en aille au diable, que son corps disparaisse hors de portée de ses mains, de ses muqueuses, de sa vue. Sans être une épreuve c’était un moment difficile, mon amie. Elle :

Elle sait que c’est frustrant pour lui qu’elle lui ait dit aussi abruptement qu’elle ne ferait pas l’amour avec lui. Elle sait aussi qu’elle peut lui faire du bien autrement. Juste en étant proche de lui. Physiquement. Alors elle s’allonge près de lui, les yeux fermés, en silence. Elle est bien près de lui, et elle pense à lui. Son amoureux. Ils restent comme ça longtemps. Dans sa tête, le 4e morceau de « L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato » de Haendel vient jouer. Il l’a touchée, déjà. Plus elle pense à lui, plus elle a envie de faire l’amour. Elle hésite, longtemps. Elle sait qu’elle n’a qu’à demander, que son ami n’attend que ça. Pourtant, elle ne dit rien.

Le temps s’est arrêté mais l’heure a continué à tourner. La femme aimée revient à la surface, il est temps qu’elle rentre chez elle et se fasse couler une douche brûlante en écoutant de la musique. Il a apporté des disques qu’elle aimera mais pas de quoi les écouter. D’ailleurs, tout est à moitié ce soir : la conférence dont ils ont manqué le début, les fruits qu’il a achetés alors qu’elle avait envie de chaud, une rencontre amoureuse sans les sexes, et pour finir, elle, qu’il aperçoit un instant nue jusqu’à la taille dans son pantalon, beauté solaire en haut et noirceur lunaire en bas. Tout est à moitié mais cela n’a rien de dramatique car la plénitude est dans leurs cœurs. Une seule chose : il est temps qu’elle parte.

Elle a bien envie qu’il la raccompagne chez elle. Non, il n’essaiera pas de monter — pourquoi a-t-elle peur qu’il insiste ? Ça lui plaît de marcher un peu même si les rues sont désertes et balayées par un vent glacial qui achève de pétrifier ses organes. De loin on aperçoit deux prostituées à l’angle d’une rue. L’une est blonde et presque jolie. Il s’imagine un moment lui confiant son sexe pour calmer sa colère. Il suffirait de pas grand chose, un orifice féminin ou des mains expertes, et ce constat le détache du désir insensé de troubler le lac tranquille de son amour. Si elle se doutait de ce à quoi il a pensé en croisant les filles… Elle n’a peut-être même pas remarqué leur présence, emmitouflée dans son foulard. Aucun risque de folie car il n’a rien d’autre en poche que la clé de la chambre et son sexe dressé.

Une dernière embrassade. Ils se quittent. Les corps se séparent mais il garde dans un coin secret le goût du baiser qu’il aurait volé si Anne ne le lui avait pas donné avant de partir de la chambre. Son cœur est un peu lourd, mais serein, alors qu’il refait le chemin dans le dédale des rues froides, pour retrouver la chambre à l'odeur insupportable. Le lit où elle est passée, comme un mirage. Il s’y allonge sur un matelas de tristesse, caresse son sexe et ne tarde pas à s’endormir. Heureux.

[Suite]

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commentaires

F
En perso? Sur mon blog ou ailleurs? Au fait, j'avais oublié de vous dire que ça me fait un immense plaisir de lire un homme qui parle de voyages d'amitié amoureuse, car c'est exactement ma vision des amours plurielles qui suscitent tant d'émoi dans le landernau!
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J
<br /> Oui, c'était en perso, et je vous réexpédie le message. Si vous en recevez autant que moi (dans d'autres activités) je ne suis pas surpris qu'il soit passé inaperçu. Pour autant je ne voulais pas<br /> insister car le fait d'avoir des visions identiques et des parcours de vie ressemblants, et que nous ayons échangé quelques mots dans un lieu public, ne me paraissait pas suffisant pour établir un<br /> contact perso. Dans mon message je vous parle donc d'autres choses et plus particulièrement de votre livre "Aimer plusieurs hommes", comme vous m'y aviez invité.<br /> <br /> <br />
F
Très joli texte, le genre d'ambiance que j'aime lire... et vivre. Merci pour votre com' sympa sur le site de Fiso, j'avoue que la rage de D. Goux (tiens, ça fait dégoût, j'avais pas remarqué) me fait rigoler, mais m'attriste aussi, ça sent tellement le machisme frustré...
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J
<br /> <br /> Vous ici, Françoise ? Quel bonheur ! (Je vous ai écrit en perso — de l'autre côté du miroir — le 12 avril.)<br /> <br /> C'est vrai que le récit de cette soirée est dans le ton de certaines de vos nouvelles... Mais on ne choisit pas le ton dans la vie réelle. ;-)<br /> <br /> C'est hallucinant de voir de quelles tares on vous affuble lorsque vous osez parler de votre liberté sexuelle, alors que chez un homme ce genre d'exercice est toujours gratifiant. (Cherchez une<br /> critique sur ce site !) J'ai lu le même genre de réflexions cyniques sur "La vie des idées" lorsqu'Esther Perel y a présenté son livre. Il y a encore du travail à faire : l'univers décrit par<br /> Maupassant n'est pas si loin.<br /> <br /> <br /> <br />

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