Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 février 2006 1 20 /02 /février /2006 13:56
Ma main avait glissé sur son ventre pendant le sommeil. Ces choses peuvent arriver quand on dort près d’un homme amant de sa compagne.

Elle n’avait pas retiré la main étrangère ; au contraire, elle avait posé la sienne dessus.

Imaginez une route poussiéreuse, de nulle part vers nulle part, tracée entre deux tea-shops pouilleuses qui servent de repères aux arrêts d’autocars. Rien à l’horizon, sinon des camions et autres véhicules déglingués se frayant un chemin sous une chaleur torride. Évidemment, on avait choisi le mois de juin pour une enquête de terrain dans les communautés namdhari avec un ethnologue un peu déjanté et sa copine américaine. J’ai apporté mon matos pour enregistrer les interviews du siècle. La première communauté est la plus riche car elle est réservée aux gens de caste. On les appelle les « yogis aux oreilles percées » à cause de lourds anneaux de bois qu’ils portent en boucles d’oreilles. Leur vie est très ascétique. Après une collation de galettes de blé et de lentilles, ils nous ont amenés à une chambre dont le mobilier se réduit à deux lits faits de cordes tressées. Nous étions quatre car une jeune touriste française, prof d’histoire-géo, avait souhaité être du voyage.

Étrange ambiance qui ranimait en moi une curiosité d’adolescence pour les mouvements spirituels exotiques. Non, je n’ai pas rêvé : on nous a ouvert la porte d’un bâtiment de pierre marbrière, aussi vaste qu’une église, décoré des portaits de la lignée de mahant qui ont dirigé cette secte fondée à l’époque du Bouddha. Vingt-quatre siècles vous contemplent, à l’abri de la fournaise, dans un silence de cathédrale…

Elle et moi. Il n’y avait rien de prévu entre nous, mais nous voilà blottis l’un contre l’autre sur cette espèce de hamac, enroulés de tissus légers et soyeux, vite endormis après ces quatre heures de route. Sa main sur la mienne, la mienne sur son ventre que je sens palpiter. J’écoute sa respiration, je perçois une fine ondulation de ses reins que j’accompagne en glissant encore sur le tissu qui ne tarde pas à se dénouer. Je réalise soudain que cette femme est belle et que sa peau douce aime être caressée. Elle offre ses lèvres à mes mains puis à mes lèvres. Elle sent mon désir monter, ses mamelons se dressent et roulent entre mes doigts, elle gémit en silence. Les langues se cherchent. Ma main plonge dans la toison de son ventre, à la recherche de son jardin humide. Mais elle plonge trop vite et trop fort. Ce n’est pas le lieu d’une telle agitation. Elle parle soudain :
— Tu es aussi collant qu’une mouche !
— Pardon…
Le reproche a été donné en souriant, mais il coupe net mon élan. Je suis mort de honte. Comment ai-je pu abuser ainsi de la situation ? Je passe le reste de la nuit couché à même le sol, malgré son insistance.

Je ne sais plus son nom.

Deux mois plus tard je l’ai revue dans un village tibétain. Nous avons pris le thé, puis je l’ai invitée à passer la soirée dans ma chambre d’hôtel, un petit cube de briques peint en vert avec une belle vue sur la vallée. Là, je lui ai répété combien je regrettais ce qui s’était passé à Rothak. Qu’au début j’avais posé la main sur elle sans m’en rendre compte, puis que j’avais senti une réponse de sa part, qu’elle m’avait paru aimer les caresses, et que j’avais pensé que… J’ai tellement fait dans la contrition qu’elle n’a rien dit de ce qu’elle avait ressenti ce jour là, ni de ce qu’elle ressentait maintenant, sauf qu’elle ne m’en voulait pas du tout. Elle était douce et souriante. Je nageais dans le bonheur de mon ego reconstitué : celui de l’homme qui maîtrise pleinement ses pulsions ; sinon à quoi ça servirait, toutes ces heures de méditation ?

Je crois que ce soir là elle avait vraiment envie de moi, et que j’avais envie d’elle. On s’est quittés frustrés mais fiers d’avoir sauvé la face.

Ce n’est pas facile d’endurer le karma d’une mouche.
Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Tiens, on parle encore de moi?!Dis donc, Julien, quelle vie bien remplie d'érotisme et d'amour tu mènes! Je te la souhaite encore longue (je parle de ta vie).
Répondre
J
L'érotisme fleurit partout où nous le laissons fleurir...  J'en ai plein les tiroirs, et il y a toujours de la place pour de nouvelles saveurs.  Tout à l'heure on parlait de littérature et de blogs avec une collègue que j'aime bien.  Elle m'a demandé si j'en avais créé un.  Je lui ai dit oui, dans le genre érotique.  Elle ne m'a pas cru, évidemment.  En même temps je sens qu'il y a un petit grain de folie, en elle, qui lui souffle: "Il faut le croire!"  J'adore dire des choses vraies que personne ne croit.  Ce décalage entre les paroles, les faits et les croyances est pour moi un fondement de l'érotisme.  C'est d'ailleurs pour ça que je me délecte aussi de tes écrits. ;-)
L
Enfin pris le temps de lire, c'est tellement bien raconté que je m'y croirais...Et chez toi aussi, quel art de la chute !
Répondre
J
Chute de reins, ou de la chatte en rut ? ;-)

Ce Blog

  • : Fils invisibles
  • : Un loup gris partage les émotions, intuitions et désirs au fil de ses « voyages » d'amitié amoureuse.
  • Contact

Fonds De Tiroirs