25 septembre 2006
1
25
/09
/septembre
/2006
17:29
— (L’autre) Quelqu’un vient d’entrer dans ta chambre. Un homme ?Elle a raccroché. Il appelait pour lui dire qu’il ne se sentait pas bien.
— (Elle) Mais non, ce n’est pas vraiment un homme, comment te dire… Tu es quoi, au fait, Julien ?
— (Moi) Un surhomme.
— (Voix étranglée) Ah, je m’en doutais !
— (Moi, à l’autre) Ne t’inquiète pas, Adrien, j’avais juste oublié mes chaussettes.
— (Lui) Sans doute à cause de mon boulot, plus mon ex-femme qui est en visite…Elle essaie, mais sans y croire, de le préparer à accepter la réalité de ses amours multiples. Elle y va par petites allusions, sur le ton de la plaisanterie, tout en sachant que leur relation est installée sur un contrat d’exclusivité, dans l’étouffement réciproque, prix à payer pour un sentiment éphémère de sécurité affective. La réalité est au rendez-vous de leur histoire, inscrite même (depuis août) sur son agenda.
— (Elle) Mais non, mon amour, c’est parce que je suis partie m’amuser en te laissant seul.
Adrien n’aurait pas supporté de la voir pendant le bal de samedi soir, accrochée aux bras des meilleurs danseurs : un étudiant en médecine beau comme un dieu, puis un célèbre professeur infatigable du haut de ses 72 ans… Elle venait de faire un stupéfiant spectacle de danse orientale, vêtue d’une poignée de paillettes, devant 400 personnes très sérieuses, les yeux écarquillés, découvrant que le seul thème qui manquait à l’ordre de jour — et le seul qui aurait pu faire consensus — était celui du Désir.
— Tu bandais pendant que je dansais?Quelques baisers pour enlever les paillettes, car je n’ai cure d’autres éclats que ceux du regard amoureux.
— Oui, mais mes mains étaient occupées à te filmer.
— Tu sais, j’ai vraiment craqué pour ce jeune homme. Lui aussi me désirait, mais il n’osait pas se l’avouer.
— Quand je vous ai vus ensemble à table, vous étiez si beaux que j’ai eu envie de lui faire l’amour… bien sûr, avec toi entre nous !
Le désir était en nous pendant tout ce week-end. Il me comblait d’énergie pour l’ultime investissement, au terme de quatre mois de travail préparatoire, de contacts, d’arguments et parfois de bagarres avec les faux-culs qui mènent le troupeau. Quatre mois d’infidélité à mon blog, à mon piano, à l’idée même de toute infidélité. (La patience et l’intelligence d’Aimée ont été inestimables. Elle a su prendre en charge tout ce qui dépassait mes forces. Si ne suis pas un surhomme, elle est une surfemme, au-delà de tout ce que je pourrais écrire ici.)
Iliane avait sa chambre près de la nôtre. La rencontre tant désirée était possible mais elle n’a pas eu lieu de manière banale. Le premier soir nous sommes restés enlacés, peau à peau, jusqu’à mourir de sommeil. Nous nous sommes glissés dans le désir comme dans un bain japonais trop brûlant pour autoriser le moindre geste. Nous sommes restés là, à nous caresser sans bouger, ou si peu, jusqu’à la complète dissolution de notre impatience.
Je lui ai dit hier soir que son apparence physique, les formes voluptueuses capturées par ma caméra, offertes pendant toute la soirée à la convoitise des hommes — sans oublier celle, ambiguë, des femmes — cette beauté qui s’offrait à mes mains, mes lèvres, mon sexe dans l’intimité, tout cela n’avait rien à voir avec du désir. Je n’ai ressenti aucune émotion quand elle m’a donné à voir sa nudité, comme s’il n’y avait pas un an et demi que nous étions séparés (voir « L’amante dans le puits »). Nous sommes entrés immédiatement dans la fusion des retrouvailles, mais son sexe ne s’est pas ouvert car Adrien était là, à rôder dans ses pensées ; Aimée aussi, d’une autre manière, car l’hôtel entier faisait partie d’un espace à ne troubler sous aucun prétexte.
Le sommeil nous a séparés. J’ai rejoint Aimée qui dormait profondément.
Hier soir ce fut encore plus étrange. Il était je ne sais quelle heure, à la sortie du banquet final. Jamais je ne pourrais faire l’amour la bouche empâtée du souvenir des bons vins que nous avaient fait goûter nos hôtes. Nous nous sommes donc allongés tout habillés (sans mes chaussettes). L’eau n’était plus aussi brûlante.
— C’est drôle. J’essaie de me souvenir des caresses que tu aimes, et surtout de celles que tu n’aimes pas, mais rien à faire, ma tête est vide.J’ai mordu un monticule qui pointait avec arrogance sous le tee-shirt. Elle a crié puis m’a fait venir sur elle. Elle m’a appuyé contre son pubis, appelant la force de mon sexe — je me suis souvenu du « taureau céleste ». Elle a joui, par deux fois. J’ai ri, à mon tour cette fois.
— C’est ça qui me plaît chez toi, quand ta tête est vide.
— Avec toi j’ai toujours la sensation de quelque chose d’illimité, très haut dans le ciel. Je ne peux pas le vivre avec Adrien, car nous sommes repliés sur nous-mêmes, notre couple, notre petite fusion, notre peur de se perdre… C’est nul, le mariage.Ce matin je l’ai revue dans sa chambre un peu avant midi. Elle se frottait les dents, nue devant le lavabo. Je l’ai serrée en lui recommandant de bien passer partout, délicatement de chaque côté, avec plus de conviction en profondeur, joignant le geste à la parole pour ce qui demandait à être frotté, pendant qu’elle riait à s’étrangler. Puis j’ai longuement respiré son désir sur ma main. Une drogue douce et gratuite.
— Vous n’êtes pas mariés !
— Et toi, tu as envie de me faire l’amour avec ton sexe ?
— Oui, bien sûr. Mais je t’ai fait l’offrande de mon désir, et je me sens totalement apaisé.
On avait un moment eu l’idée qu’après le colloque elle me prendrait en covoiturage jusqu’à Biarritz, pour quelques jours, puis que je reviendrais en train. Mais l’idée était mauvaise, d’une part parce qu’Adrien va bientôt arriver chez elle en visite, d’autre part pour le temps dont j’ai besoin de retrouver « chez nous » avec Aimée, en conclusion du colloque.
Ce soir je lui écris :
Iliane,Elle répond :
Tu as pris mon cœur en covoiturage.
Me voilà seul avec cette sensation étrange d’avoir vécu un rêve éblouissant.
Pourtant nous nous sommes à peine touchés… :-)Puis :
Bonjour vous qui rêvez de folles aventures,La lune monte, et ma folie avec.
restant malgré tout sagement assis,
enveloppé d’une chaude couverture,
sur le rebord d’un petit lit.
Qui sait si la lune sauvage
distraite ce soir dans la pénombre
saura faire quelques ravages
dans votre pensée vagabonde.
L’horreur pour un homme de grand talent
que le vide du temps oppresse
est de rester moultes instants en suspens
si proche d’une si dangereuse ogresse.
Nous nous sommes retrouvés en janvier 2008.
[Suite]