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13 juillet 2007 5 13 /07 /juillet /2007 22:54
— Sorry, I won’t be able to attend this session because of an important meeting…
— Too bad! I wish you the best anyway.
Ne sachant trop comment s’éclipser de la conférence, il avait fourgué un semblant d’alibi à une collègue sympathique et respectueuse de sa vie privée. L’important meeting était annoncé pour l’après-midi sans qu’il ait une idée précise de l’heure. Pendant la pause du repas il était déjà allé à l’hôtel pour préparer la chambre. Tout est réglé comme sur papier musique : ce qu’il faudra faire selon qu’elle ou lui arrive en premier, le jeu étant qu’elle ne le voie pas quand il nouera une écharpe autour de ses yeux, et que lui ne devra pas la voir habillée. C’est la femme sauvage qui vient s’offrir à son regard, ses mains, son désir et plus si affinités.

Il a prévu deux écharpes — une pour les yeux et l’autre pour lui attacher les poignets si elle le demande. Le voilà en train de déplacer des objets et du mobilier dans la chambre : tout lui semble figé une fois qu’ils sont en place.

En arrivant à l’hôtel il a été soulagé d’apprendre qu’Anne n’était pas encore arrivée et qu’il lui faudrait donc supporter l’attente, plutôt que l’angoisse de faire le premier pas et de frapper à sa porte. C’est un hôtel ancien, luxueux et délabré.

Il s’est assis avec un livre et l’ordi allumé au cas où. Il regarde le courrier de temps en temps car elle pourrait annoncer qu’elle ne vient pas aujourd’hui. Rien n’est vraiment fixé, entre aujourd’hui, demain et la semaine prochaine, à cause d’impondérables, et malgré son impatience il est intimement persuadé que le meilleur moment sera celui fixé par ces impondérables.

Il attend l’amante-aux-milles pages — c’est ainsi qu’il la désigne à ses confidentes car il n’y a pas eu moins de mille pages dans leurs échanges depuis quelques mois. Leurs personnages sociaux se connaissent déjà, mais un voyage a provoqué quelques années d’éloignement. L’opportunité, puis le désir d’un échange à cœurs ouverts se sont présentés alors qu’elle vivait quelques semaines en solitaire. Elle s’est servie de lui comme d’un miroir pour solliciter la Femme sauvage longtemps réprimée par une vie trop bien réglée. Le miroir s’est retourné et c’est lui qui a dû se raconter, se mettre à nu dans une profusion d’idées et de sentiments. Il n’a pas de souvenir d’une aussi subite intensité dans une relation vécue à distance, ponctuée de rêves et de rêveries.

La première heure s’est écoulée dans la fébrilité car il sent qu’elle s’est vraiment mise en route. Aujourd’hui est bien le jour de leur rencontre. À croire qu’il n’est pas le seul à le sentir car ses amies-amantes semblent s’être donné le mot, hier soir, pour l’encourager.
— Plein de bonnes pensées pour toi et tous ceux qui vont habiter ton été — la saison des femmes, non ?! — de leur joie de vivre mêlée à la tienne.
— Un je ne sais quelque chose, un brin de folie, un cil retroussé, deux brillants noirs humides des larmes de la terre, ton corps de plaisir, je bois ta présence vers des rêves lointains, lait du ciel enflammé en mille étoiles incorporées…
La troisième lui a envoyé une photo d’elle en train de danser, belle à mourir de désir !

Quant à S., il a passé une bonne partie de la journée avec elle, hier, sur le quai de la gare où ils attendaient leurs trains avec des heures de retard à cause d’une alerte à la bombe. Elle partait revoir son amoureux après plusieurs mois de séparation.

Il écrit :
Petit à petit la notion du temps s’efface. Je suis sur une autre planète où les heures coulent sans prévenir. Sur l’écran je découvre un message d’Anne avec pour seul texte : « Tu es là ? » Voilà dix bonnes minutes qu’il est dans ma boîte et je réponds immédiatement oui. Pour moi ce message veut dire qu’elle ne viendra pas aujourd’hui. J’en ressens de la contrariété et une immense tristesse,. L’idée qu’elle ne vienne pas aujourd’hui, alors que mon être sent (désire) le contraire me déprime profondément. Je mets la messagerie en récupération automatique pour qu’elle affiche immédiatement le prochain message qui devrait contenir des explications. Si elle vient demain, objectivement c’est mieux puisque que je logerai seul dans un bel appartement prêté par des amis.
Il attend donc sa réponse en lisant un livre, déconnecté de cette belle énergie qui l’habitait les heures précédentes. Ce soir il va travailler pour préparer un exposé qu’il doit faire demain à 9h00. Il oubliera cette attente vaine. Il se sent de nouveau bien, mais dans un autre registre.

Il lui a semblé entendre frapper, le bruit étant couvert par le passage d’un vélomoteur. À tout hasard il entrouvre la porte, persuadé de ne trouver personne, mais il sent quelqu’un se glisser dans le coin pour ne pas être vu.
— C’est toi ? (Presque sur un ton de reproche, car une petite voix dans sa tête proteste : comment ose-t-elle venir alors que je ne suis pas prêt ?)
— (Voix étouffée) Oui !
Il oublie la procédure : elle devait entrer et il devait sortir pour revenir lorsqu’elle serait prête, sans que leurs regards ne se croisent. Pour un peu il serait parti sans clé ni chaussures… Il reprend quand même ses esprits pour lui demander s’il lui faut plus de 15 minutes pour se préparer. Elle répond « 30 » et il décide de disparaître pendant 35 à 40 minutes, car le temps est un peu détraqué. Lui :
Je regarde cette rue et la fenêtre de la chambre en songeant que je lèverai les yeux chaque fois que j’y passerai. Idée stupide puisque je ne sais rien de ce qui va nous arriver… Je pars acheter de l’eau en bouteille, quelques tomates pour compléter les fruits, je flâne en brassant le mélange de joie et d’anxiété qui s’est répandu dans mon cœur. Anne a osé faire le voyage, frapper à ma porte, entrer. Aura-t-elle l’envie et le courage d’aller plus loin ? Allons-nous vivre des heures de frustration et d’incompréhension ? Se sera-t-elle enfuie à mon retour ?
Il vaut mieux ne pas y penser. Il descend le jardin du Luxembourg rafraîchi par une averse. Les promeneurs sont rares mais le lac et les arbres lui inspirent un grand calme. De nouveau le temps s’écoule différemment : il ne voit pas passer la demi-heure.

À la 40e minute le voilà planté en face d’une boutique d’artisanat, incapable de décider, paralysé comme elle a dû l’être, ou comme S. qui se disait presque heureuse du retard de son train, repoussant l’échéance d’une confrontation avec la réalité. En dernier recours, il fait le vide en priant ses jambes de le porter jusqu’à la chambre quand elles décideront que c’est le moment. C’est ainsi qu’il se retrouve devant la porte, le cœur battant, et qu’il sort la clé, l’esprit vide.

Il entre. (Elle lui dira qu’elle aurait aimé avoir encore plus de temps.)

La porte est en face de la salle de bains, sa prochaine étape, mais il a jeté un coup d’œil dans la chambre où il l’aperçoit allongée nue, à plat ventre. Elle a osé ! Elle ressemble aux photos qu’elle lui avait envoyées, sauf que sa peau est bien plus tannée par le soleil. Mais le volume est bien réel, ce volume, cette forme qu’il a déjà sentie derrière la porte. Ce n’est plus une image plate mais une femme vivante qu’il reçoit aujourd’hui. Arrêtant là toute spéculation, il fait le nécessaire dans la salle de bains : prendre une douche en savonnant légèrement sa peau, frotter ses dents et enfiler une tunique de coton grossier. Il ne ressent aucune excitation physique et cela l’amuse de repenser à la première fois qu’il a couché avec une femme : il n’en finissait plus de pisser tellement il était impatient avec son sexe douloureusement dressé. Aujourd’hui il n’a pas de sexe. Ce serait presque inquiétant.

N’ayant plus rien à faire dans la salle de bains il se décide à la rejoindre. Anne est maintenant allongée le dos tourné mais n’a pas encore noué l’écharpe sur ses yeux. Elle a écrit un petit mot pour lui demander de la placer lui-même, mais il ne verra le billet que plus tard. Lui :
J’ai commencé par m’asseoir à côté d’elle et j’ai eu envie de lui raconter mon attente, son message, ma surprise de la voir arriver alors que j’avais perdu espoir, et ce que j’ai ressenti dans la rue. Elle m’a parlé de sa peur : elle est restée longtemps devant la porte avant d’oser frapper, elle aurait aimé converser d’abord par mail, si j’avais tout de suite répondu au sien. Qu’on s’écrive une dernière fois dans l’antichambre de cette rencontre…
Elle :
Dès que j’ai enlevé mes vêtements, l’angoisse a disparu. Comme si j’avais enlevé en même temps mes questions, mes peurs, comme si j’étais sortie de mon personnage social, dans une certaine mesure. […] Quand il a commencé à me toucher aussi. Plus de trace de timidité ou de trac. Ça allait bien.
Il est en accord avec cela. Cette mise en scène lui paraît maintenant sans intérêt, il ne reste qu’à être vrai, attentif, et improviser.

Il a pris l’écharpe et l’a nouée autour de ses yeux. Elle a murmuré qu’elle avait mal à la tête. Incapable de lui masser le crâne, il a fini par simplement poser ses mains. Pour calmer son anxiété il a passé Que sera sera par Pink Martini. Elle a souri et apprécié. Il lui a semblé bizarre d’entendre de la musique et de partir dans un autre monde alors qu’il n’a qu’envie d’être là, de lui parler et de la toucher, sans intermédiaire et sans artifice. C’est pourquoi il laisse de côté tout ce qu’il avait préparé. Elle ne demande rien de plus.

Elle l’a invité à lui caresser le dos et les fesses. C’est une belle sensation de la toucher enfin, de prendre possession de ce corps de jeune femme. Mais son toucher est mal assuré, hésitant entre massage et caresse, trop appuyé la plupart du temps car elle se sent « écrasée »,  surtout lorsqu’il s’assied sur ses cuisses pour la masser des deux mains. Ses cuisses, mmmmh. Les chevilles — un aveugle pourrait reconnaître une belle femme rien qu’en serrant ses chevilles — et ses pieds délicats malgré les empreintes de longues marches.
J’en étais à la toucher, l’effleurer, la pétrir parfois sans percevoir de réaction. Je n’avais pas non plus de réaction, mon sexe restant désespérément aux abonnés absents, non pas que je craigne de ne « plus pouvoir », mais parce que c’est l’indicateur fiable d’une absence, d’un contact qui ne s’établit pas malgré l’intimité de la peau… Anne ne disait pas grand chose, sauf pour me prier de moins appuyer ou de ne pas rester à certains points. J’apercevais son sourire, dans les meilleurs moments, et je m’y accrochais comme à une planche de salut.
Il a la terrible impression de la décevoir après avoir tant vanté sa capacité d’écoute des besoins d’autrui. Pour masquer cette déception il ressasse des explications toutes faites : sa peau serait-elle trop tannée par le soleil ? Ce qu’il pressent en filigrane, elle l’écrira clairement le lendemain :
Je ne suis pas attirée par toi physiquement, ce n’est pas une découverte. J’ai réfléchi au fait que je t’avais dit que ce n’était pas tellement un problème pour moi, et je me suis rendue compte que les autres hommes dans le même cas avec qui j’avais eu une relation, c’était une situation similaire. C’est à dire que ne pas ressentir d’attirance ne m’empêche pas d’avoir une relation où je m’offre et où je suis passive. Mais peut-être bien que ça m’empêche d’avoir du désir et d’être active. J’ai toujours été passive avec ces hommes là. Donc certes, je ne m’offre que très partiellement.
En lisant ces mots il éprouvera plus de soulagement que de tristesse. Aucune surprise — n’avaient-ils pas déjà évoqué son absence d’attirance- ? — mais il ne s’attendait pas à ce que son désir qui fonctionne en miroir s’évanouirait. Ou plutôt qu’il se dédoublerait : un désir dans la tête qui reste très fort, car il a envie de fusion amoureuse avec elle, follement, et un désir plus profond qui est dans la vérité, celle que son sexe dicte sans ambiguité. Curieusement, son sexe à elle est vraiment mouillé, une véritable fontaine, il adore sentir le glissement voluptueux de ses doigts, mais il est encore trop tôt et elle le lui fait comprendre sans animosité.
— Désolé, j’avais trop envie de te sauter dessus !
Elle a froid. Il l’a couverte de l’écharpe de laine mais ce n’est pas suffisant. Elle s’est d’abord assise, il a vu pour de vrai son ventre et ses seins, puis elle les a couverts à cause du froid. Elle a pris sa main pour la poser sur un sein — le gauche, évidemment. Il a senti la perfection de la forme, une vague de volupté en contraste avec les premières sensations. Cette vague est revenue les rares fois où leurs caresses étaient à l’unisson avec leurs sensibilités. Elle a demandé ses mains sur son ventre, son pubis, ses hanches. Il a perçu une force « masculine » sur son pubis, comme si un pénis allait soudain se dresser, ce qu’elle a reçu comme une bizarrerie d’inspiration pas très érotique. Inconsciemment il lui disait que son magnifique corps de femme n’était pas assez féminin pour lui, dans ces caresses trop légères et ces effleurements dont elle était friande. Parfois il avait plus l’impression de toucher une poupée, une reproduction en 3D de ses photos, que son enveloppe charnelle.

Elle lui répète qu’il appuie trop, et que son avant-bras, même posé, l’écrase.
— Tu connais le conte de la Princesse au Petit Pois ?
— …
— C’est une jeune fille qui s’est perdue dans la forêt, recueillie par une famille à qui elle affirme être une princesse. Pour le vérifier, ses hôtes la font coucher dans un lit où sont empilé vingt matelas et autant d’édredons avec, au-dessous de cet empilement, un petit pois. Le lendemain, elle leur confie qu’elle a très mal dormi à cause du lit inconfortable, ce qui prouve qu’elle est une vraie princesse !
— :-))
— Eh bien, ce soir, c’est moi la Princesse Petit Pois, et tu devras me toucher avec autant de délicatesse.
— Moi qui ai appris à « mettre du poids » sur le clavier…
— Je ne suis pas ton instrument, je suis une princesse !
En raison de l’absence d’attirance, il sait bien qu’elle ne souhaite pas sentir son corps en contact avec le sien, et encore moins son sexe, dressé ou non. Que ses lèvres non plus ne sont pas bienvenues, lui qui rêve de goûter la surface entière de sa peau… Elle veut ses mains (dans des effleurements) ou rien. Le jeu aurait été possible avec une règle explicite, mais il a fini par le lasser car elle ne le touchait pas en retour.

Elle :
— Il y a eu ce problème de mon mal au ventre et de la sensation de pression de ta main sur moi, et de ton corps à côté de moi, que je ressentais comme oppressante. Tu as remarqué que je m’éloignais toujours un petit peu ? En même temps je savais que tu avais besoin que je te touche et c’est pour ça que je touchais de temps en temps ton bras ou ton visage. Je n’avais pas envie que tu te sentes rejeté, mais j’avais quand même besoin que tu m’accordes du temps. Beaucoup de temps.
C’est à ce moment-là qu’il a exprimé son malaise. Ce qui se passe entre eux le renvoie à un souvenir douloureux, la fin humiliante d’une relation passionnelle. Aujourd’hui il vit quelque chose de comparable sauf qu’il ne se fait pas violence car l’amante ne réprime pas son désir et lui exprime pleinement sa tendresse. La Princesse Petit Pois est peinée de constater que le « fantôme de M. » soit venu s’installer entre eux… Pourtant il n’y a pas de fantôme, seulement la résurgence de circonstances difficiles à vivre.

Elle lui dit et lui écrira ensuite que ce qu’ils vivent n’est pas totalement en accord avec ce qu’il lui avait écrit : qu’on pourrait « passer des nuits entières à s’effleurer avant de faire l’amour ». Ou encore « qu’on laisse pointer le désir, ou simplement qu’on reste en contact si le désir de jouissance ne vient pas ». Mais il répond que ces gestes s’appliquaient à des situations différentes : s’il a parlé de « s’effleurer », c’était pour qu’il l’effleure mais qu’elle l’effleure aussi ; quant à « rester en contact », cela supposait une totale immobilité… Ce qui lui est difficile à vivre — et qui finit par museler son désir — c’est de devoir s’activer, de l’effleurer pendant des heures alors qu’elle reste sans mouvement.

Il y a aussi le facteur temps. Ils avaient convenu que la meilleure manière de se rencontrer serait de passer au moins trois journées ensemble dans l’intimité et de se donner tout le temps (aux deux sens du terme). Une nuit dans une chambre d’hôtel avec la contrainte d’un réveil matinal n’offre ni la sérénité ni la sécurité affective nécessaires. Plus il exprime d’attentes, plus elle aura envie de s’y dérober et moins il y a de chances qu’elle « vienne le chercher ». Il a été assez présomptueux pour imaginer que le facteur temps pourrait devenir négligeable.

Elle :
— Ce n’était peut être pas une bonne idée de partir directement sur ce genre de rencontre. On pourrait essayer tout autre chose, comme on l’avait décidé au début. Partir faire du camping dans la nature quelques jours, avec des fruits, des livres, des films, de la musique… Et faire ce qu’on a envie de faire. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Oui, oui, oui !
Il lui arrive un peu la même chose qu’à Eguchi, le personnage central des Belles endormies de Yasunari Kawabata. Il a triché en fréquentant une maison close particulière réservée aux hommes devenus impuissants (alors qu’il est encore « vert », nous confie malicieusement l’auteur) où ils peuvent passer la nuit avec une jeune fille vierge, endormie par un somnifère, dont il faut bien sûr respecter la pureté. Il joue le jeu, au début, et ce qu’il ressent dans le contact, le goût, l’odeur de ces jeunes filles le renvoie aux plus beaux moments de sa vie amoureuse, qui forment l’essentiel du roman. Mais il arrive un soir où, pour diverses raisons, il ressent un désir irrépressible de la jeune fille. Il cherche à la pénétrer mais n’y parvient pas. Aujourd’hui c’est un peu cela, sauf que la belle n’est pas tout à fait endormie et que le héros de l’histoire n’a aucune envie de la forcer. Lui :
Elle s’est retournée sur le ventre pour que je lui masse vigoureusement les fesses et les hanches. Cette fois, mes gestes sont en accord avec nos sensations. Je sens son désir d’être touchée à la racine, je la sens s’ouvrir et je savoure ce miracle. Ma main gauche commence à lui faire l’amour. J’aime sentir son plaisir. Elle se retourne, ma bouche se désaltère à la fontaine, ma main droite a remplacé la gauche. Mon cœur a chaviré avant d’embrasser la rive où l’attendait une ivresse peuplée d’herbes odorantes. Deux doigts…
— Trois, supplie-t-elle.
— C’est trop serré, j’ai peur de te faire mal.

Elle apprécie toujours ses caresses mais il sent que son plaisir a diminué. Alors il approche son sexe, qu’elle serait prête à accueillir, mais ce dernier refuse obstinément de se réveiller. C’est drôle tellement c’est caricatural. Il a rêvé des dizaines de fois de la pénétrer, le sexe tendu au seuil de la douleur, et là… L’image du vieillard incapable de forcer la jeune fille est parfaitement appropriée.

Il regrette de ne pas l’avoir amenée à l’orgasme, ce qui sans doute aurait été facile si son esprit n’était pas encombré. Elle lui dira plus tard qu’elle était paralysée de le sentir « en attente », bien qu’il ne sût pas de quoi il était en attente.

Elle a pris son sexe dans sa main. Il s’est dressé et elle l’a caressé. L’homme a poussé des soupirs de plaisir en rêvant que cette caresse soit plus longue encore.

Il y a eu aussi un moment où elle a approché sa tête pour qu’il l’embrasse. Il a goûté ses lèvres, sa bouche, ses dents belles et blanches… Mais il s’est surtout ennivré de la beauté sauvage de leur relation.
Quand je serrais sa taille entre mes mains, je me suis senti comme si nous étions accouplés, elle au-dessus de moi, avec l’énergie du volcan qui nous traverserait. J’ai senti l’appel de l’extase comme, en de toutes autres circonstances, on peut sentir venir l’orgasme.
Longtemps elle lui a demandé de laisser ses mains sur ses seins en les caressant doucement. Il en a gardé l’empreinte voluptueuse et les revoit sans difficulté, gonflés de plaisir, les mamelons bien dressés.
La terre et la lune aux creux de mes mains
Attraction universelle
Je résiste à la chute.
Il est tard. Ils tombent de sommeil et il va falloir se lever tôt car elle compte partir avant lui. Ils s’allongent pour dormir. Encore une fois il ressent de la difficulté à se placer. Une partie de lui aimerait se lover contre elle et l’autre partie la laisser dormir seule, défusionner. Le peu qu’ils aient dormi (deux heures peut-être) il s’est souvent réveillé avec la crainte de la déranger. Au point que, le jour levé, il est parti s’allonger sur le lit voisin pendant qu’elle s’était absentée. Elle lui a demandé pourquoi il s’éloignait, l’a rassuré qu’il ne l’avait pas dérangée et qu’elle avait dormi comme une masse. Puis ils ont essayé de décrire leur malaise. Jusqu’à ce qu’elle lui dise : « Si on pousse ton raisonnement jusqu’au bout, je n’ai rien à faire ici ». Il était consterné car il ne voyait pas de raisonnement ni d’intérêt à pousser une quelconque logique : il lui avait simplement signifié son incapacité d’être le seul acteur et de la caresser aussi longtemps sans être touché.
Soudain elle a eu faim, très faim, et s’est mise à dévorer les abricots et les bananes qu’il avait achetés sans trop y penser. (Au moins une chose utile à laquelle je n’ai pas eu besoin de penser. Elle me dit qu’elle n’a rien mangé depuis 48 heures, elle qui n’a aucune réserve…) La Princesse au petit poids !

Le réveil a sonné mais elle a renoncé à partir aussi tôt que prévu, ce qui leur a laissé deux bonnes heures de tendresse matinale. Sans doute comprenait-elle mieux que lui ce qui les éloignait (elle le prouvera dans ses commentaires) et ce qui pourrait l’aider à évacuer toute frustration. Pas besoin d’une longue explication. Elle s’est allongée à plat ventre, il lui a massé le dos et les fesses, il a senti la fontaine onctueuse et y a glissé son sexe qui s’était enfin décidé. Sans dire un mot elle l’y invitait. Immédiatement il a ressenti un plaisir intense, car elle le serrait vigoureusement, achevant ce que ses mains n’avaient pas réussi à faire — comme s’il était plus décent de le toucher avec son sexe qu’avec ses mains — et il s’est laissé porter vers le plaisir. Il a senti qu’elle accueillait cette jouissance comme une offrande. Elle le lui a dit : « C’était un cadeau »… Il était fou de joie et elle a pris soin de son bonheur. Il ne savait comment la remercier.
À l’antichambre du plaisir
J’ai trouvé ta gratitude
Comme un semis de coquelicots
Sur l’herbe mouillée.
Ils se sont séparés sans hâte et sans s’embrasser.

À 8h50 il est de retour à la conférence alors que son intervention est à 9h00. Assis à la cafeteria, notes en main, il la prépare avec une pleine attention malgré les deux heures de sommeil. Il est heureux, c’est suffisant. Les organisateurs sont inquiets car un conférencier ne s’est pas présenté alors qu’on l’a vu la veille.
— We should call his hotel. He might be sick in his room, who knows?
— He might have fallen in love.
— Oh, sir! What makes you think so? (Éclats de rire)
— Such things happen. People do fall in love.
La dame anglaise l’a retrouvé, toute pimpante.
— So, how was your meeting?
— Er… It went well. Very very well…
Il a du feu dans le regard et le gardera toute la journée. Son intervention sera un succès.
Si vous m’aviez cru
Avant le lever du jour
Je vous faisais don d’une étoile.
Une conférence mémorable.

[Suite]

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